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#14 – « Je suis devenu nerveux comme une femme »

Anonyme, Banquet ancien Kursaal de Meuse, vers 1890. Fonds Detry, APN-AÉN. 
Félicien Rops, Rops dans son atelier avec son modèle, 1878-1881, crayon gras, mine de plomb, craie blanche et gouache, 22 x 14,5 cm. Musée Félicien Rops, Province de Namur, inv. D 042.
Félicien Rops, Nubilité, avec Hamadryade, héliogravure retouchée à la pointe sèche, crayon de couleur, crayon gras et pastel, 41,7 x 29,9 cm. Musée Félicien Rops, Province de Namur, inv. GD E0408.

Le nouveau parcours-atelier thématique « Rops en tout genre ! » a été le point de départ de plusieurs recherches menées par le service scientifique du musée avec en point d’orgue la publication d’un livret sur la question du genre.  

Le genre est un concept qui est intimement lié à la définition des représentations du masculin et du féminin, ce depuis la plus haute Antiquité. Il faudra toutefois attendre le développement de la psychologie au début du 20e siècle pour que la notion de genre soit définie comme telle. Le 19e siècle est un siècle particulier dans lequel d’une part, la domination masculine est légitimée par l’idée d’un état de fait « naturel » et d’autre part, les premiers mouvements féministes se développent en France et en Angleterre.  

Dans cette optique, la lecture de la correspondance de Félicien Rops est riche d’enseignements sur les rapports entre les hommes et les femmes. Dans une lettre adressée à son épouse Charlotte Polet de Faveaux, Félicien Rops s’exprime avec un niveau de langage qui dénote de la prégnance de certains stéréotypes féminins comme celui de la sensibilité :  

« Mais vois-tu ici je suis devenu nerveux comme une femme dès que je pense à toi, j’ai les larmes aux yeux, je t’aime trop chère femme pour être heureux ici. Je t’envoie mille baisers dans ma lettre et je t’aime de toute mon âme »

Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1150.

La femme occupe une place centrale dans la vie et l’œuvre de Félicien Rops. L’artiste est d’ailleurs un grand amoureux des femmes et comme plusieurs de ses contemporains, il pense que les charmes féminins ne sont pas sans danger :

« Est ce qu’on sait jamais du reste pourquoi l’on aime une femme ? – Je connais dix femmes aussi jolies qu’Elle & dont je m’inquiète comme d’un vieux gant ! – Wheler l’Allemand a peut être raison lorsqu’il attribue aux atômes crochus l’influence amoureuse. Il y a un livre à faire là dessus ; – je le ferai, – quand je ne serai plus bon qu’à cela. Quand l’on songe que vous êtes trois millions d’imbéciles qui tripotaillez dans le corps humain depuis dix siècles & que vous n’êtes pas encore arrivé à guérir un homme brun d’une femme blonde ! Il n’y a donc pas moyen de trouver le clhoroforme du cœur ?? 

Fais-toi donc une spécialité des « affections du cœur ». – Je serai ta première cure. – Je t’assure que je suis un joli cas, – je ne me fais pas illusion va, je sens que c’est désespéré, je fais mon diagnostic & je compte mes pulsations comme un vieux docteur, – Doctor artis roseae ! – Docteur en l’art des roses, comme on vous diplômait à Toulouse en vous donnant l’églantine d’or des Jeux Floraux, – au temps des Cours d’Amour. C’est grave ! 

Et lorsqu’il s’agit d’une femme qui a les yeux couleur du Printemps & les lèvres de la Diane du Capitole, – c’est encore plus grave ! »

Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1586.

La seconde moitié du 19e siècle coïncide pour les femmes avec l’investissement de nouveaux espaces. Elles quittent progressivement la sphère privée pour la sphère publique. C’est le cas notamment dans le monde artistique où de plus en plus de femmes sont présentes. Néanmoins, elles ne peuvent pas travailler sur les mêmes sujets que leurs homologues masculins. Dans un article publié dans L’Art moderne en 1884, le critique Edmond Picard écrit à propos des femmes-artistes :

« Il est un art dans lequel la femme excelle : c’est celui des choses qui n’exigent ni pensée profonde, ni grand sentiment, ni large virtuosité. Des fleurs, des natures mortes, des objets élégants, des scènes de genre paisibles, des paysages doux, des portraits d’enfants, des animaux gentils, et ainsi de suite » 

Malgré tout, Claire Duluc, la fille de Félicien Rops et de Léontine Duluc, reçoit une éducation artistique de la part de son père. Celui-ci lui reconnait un talent certain dans une lettre adressée à Léon Dommartin …  

« Car nous ne garderons à Paris qu’un petit pied en l’air avec l’atelier pour moi & Clairette ; – Clairette fait de la peinture, & pas mal je t’assure, elle est réellement douée, Ce n’est pas banal du tout ce qu’elle brosse. Ce n’est pas féminin dans tous les cas »

Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 2088.

Félicien Rops n’est pas un féministe avant l’heure, il est un homme ancré dans la réalité sociale de son temps. Néanmoins, il a accordé à la femme une place de choix et a dépeint à sa manière l’image de la femme moderne. Il a peut-être senti comme un vent de changement …

Giuseppe Di Stazio