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#11 – Quand Rops inspire… Sofhie Mavroudis

Dans ce focus, nous avons le plaisir de mettre à l’honneur le talent de Sofhie Mavroudis à travers une interview inédite. Elle y explique son processus créatif pour la réalisation de deux œuvres artistiques inspirées de la correspondance de Félicien Rops.

Sofhie Mavroudis a été sélectionnée pour la résidence d’artistes au château de Thozée, organisée par l’ASBL Fonds Félicien Rops avec lequel nous avons un partenariat pour des collections et pour l’édition des nombreuses lettres qui sont éditées sur ropslettres. Pour en savoir davantage, n’hésitez pas à consulter leur site Internet : www.fondsrops.org

J’ai commencé ma pratique artistique sur le tard. Auparavant graphiste dans le secteur de la publicité et de l’édition, je décide en 2015 de reprendre des cours à l’académie des Beaux-Arts de Charleroi dans les ateliers de sculpture, vidéo et dessin. Tout de suite investie dans ma pratique, j’expose rapidement mon travail en solo ou avec d’autres artistes et fais régulièrement partie de la sélection de nombreux prix artistiques. Après avoir soumis mon dossier de candidature au Fonds Félicien Rops, j’ai eu l’immense privilège de bénéficier de la résidence en septembre 2020.

Dans un premier temps, je le connaissais surtout pour son oeuvre Pornocratès. J’ai réellement commencé à m’intéresser à Félicien Rops il y a deux ans lorsqu’en préparant mon dossier de candidature pour la résidence au château de Thozée, je me suis plongée dans ses correspondances. En les lisant, je me suis projetée dans un autre temps, une autre vie. J’ai surtout été interpellée par les lettres où Rops laissait paraître une certaine fragilité, une écorchure, de la mélancolie. 

L’oeuvre qui se trouve sur l’étang a été pensée avant mon séjour à Thozée. Lorsqu’on envoie sa candidature pour une résidence, il faut pouvoir donner la ligne directrice du travail qui sera effectué… On ne peut à ce stade, qu’ imaginer le chemin que notre travail prendra. Sur place, les choses se goupillent différemment. On ressent le lieu, on le vit 24h/24. J’ai pu ressentir la solitude, le silence. J’ai beaucoup pensé à Charlotte qui, malgré la présence des domestiques, devait se sentir seule et abandonnée par Félicien. Aussi, en pleine période de pandémie, c’est sur place que la phrase posée sur l’étang a pris tout son sens : « Il y a là des bouleaux et des grands chênes qui sont de vieux amis et qui connaissent les bonnes paroles avec lesquelles on guérit les fièvres pernicieuses, très dangereuses en ces temps de ciel bas. » (Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1263)
Ce séjour a été pour moi riche en émotions : après 3 jours de résidence, je découvre une petite boîte contenant les cheveux de Juliette, la fille de Rops décédée à 5 ans d’une méningite. Par la suite, je découvre son masque mortuaire. À ce moment là, mon travail prend une autre dimension : Juliette m’accompagnera et me guidera dans mes recherches artistiques tout au long de mon séjour à Thozée.

C’est en consultant le site du Fonds Félicien Rops que je découvre l’existence des écrits de Rops. J’ai tout de suite été inspirée par la nostalgie qui émanait de certaines de ses lettres. J’ai sélectionné les citations en fonction des sentiments qui s’en dégageaient et du contexte dans lequel je voulais les insérer. Pour l’étang, il fallait que je trouve dans les lettres un extrait qui corresponde à l’atmosphère que je voulais rendre (un sentiment d’apaisement et de nostalgie) et qui corresponde aussi à son contexte (les arbres, la nature, le calme qui règne autour de l’étang). En ce qui concerne mon travail sur Juliette, j’ai effectué le même processus avec une dimension supplémentaire puisque je travaillais sur la disparition brutale de la fille de Rops. La phrase que j’ai choisi a quelque chose de prémonitoire et d’inéluctable, elle est très touchante lorsqu’on sait ce qui se passe ensuite. Dans ce cas, la phrase m’a donné l’idée de l’oeuvre : d’après une photographie de Juliette prise peu avant son décès (elle devait avoir 5 ans sur la photo), j’ai tiré plusieurs portraits d’elle au Polaroid que j’ai associé avec cette phrase de Rops : « Juliette à des cheveux noirs et de grands yeux bleus, je l’adore, prie Dieu de me la conserver, – je me tuerais si je la perdais – ces yeux là feront bien souvent rêver un père » (Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1170). Ici la phrase a été découpée au cutter sur du papier à dessin comme pour marquer une absence, une soustraction.

Les lettres de Rops sont une source d’inspiration inépuisable. Les avoir à portée de main est une chance ! Sans cette base de données incroyable, mon travail n’aurait pu être mené comme je l’entendais et dans le temps qui m’était imparti. Le nombre incroyable de lettres à consulter est facilité par un système de recherche par mots-clés qui m’a vraiment permis d’optimiser mes deux semaines de résidence au château.